Prise de position sur le contre-projet du Conseil fédéral

Appréciation générale et critique

L’association « Oui à l’Initiative contre l’élevage intensif » salue le fait que le Conseil fédéral prenne en compte les préoccupations de la population sur l’élevage intensif et son souhait d’améliorer le bien-être des animaux. Le texte du contre-projet direct répète toutefois surtout les obligations qui sont déjà prévues dans la Loi fédérale sur la protection des animaux (LPA) et ses ordonnances d’application. Malgré la bonne volonté du Conseil fédéral exprimée dans son rapport explicatif, le contre-projet ne semble ainsi pas constituer une garantie pour une amélioration des dispositions de protection des animaux, sur leur détention, leurs sorties ou leur abattage. Le texte de l’initiative donne par contre un mandat clair.

Le Conseil fédéral annonce vouloir soumettre un projet de loi appropriée au Parlement en cas d’adoption du contre-projet direct. Après l’adoption d’un tel projet par le Conseil fédéral, il est toutefois de la compétence du Parlement d’apprécier si – et dans quelle forme – il adopterait une révision de la LPA. Alors qu’en cas de contre-projet indirect, le comité d’initiative peut influencer la révision de la loi et même avoir de l’influence sur un éventuel référendum en cas de retrait conditionnel, aucune de ces possibilités n’existe en cas de contre-projet direct.

Le contre-projet direct ne contient pas de prescriptions d’importation, contrairement à l’initiative. Si le contre-projet était adopté et que les mesures annoncées dans le rapport explicatif étaient prises – sans mesures d’accompagnement sur l’importation de produits animaux provenant d’élevages intensifs –  cela aurait des conséquences négatives pour l’agriculture suisse. Le but premier des initiant-e-s est d’améliorer la protection des animaux dans l’agriculture. En déplaçant la production animale à l’étranger, le contre-projet pourrait même avoir un effet négatif sur le bien-être animal dans son ensemble.

Ci-dessous, l’association « Oui à l’Initiative contre l’élevage intensif » prend position sur le contre-projet direct dans son ensemble, puis paragraphe par paragraphe.

1. Un contre-projet direct sans amélioration de la protection des animaux

Les initiant-e-s saluent la volonté du Conseil fédéral d’intégrer le « bien-être des animaux » dans la Constitution fédérale. C’est une reconnaissance symbolique de la signification que la population suisse accorde aujourd’hui au bien-être et à la dignité des animaux. Ils craignent toutefois que la reformulation de l’Art. 80 de la Constitution fédérale (CF) proposée dans le contre-projet direct n’aurait pas d’effet concret sur la protection des animaux, en particulier sur les animaux de rente. La LPA protège déjà la dignité et le bien-être des animaux ; le Conseil fédéral le reconnaît explicitement dans son rapport explicatif. Il ne fait que reprendre la terminologie existante en y ajoutant des termes juridiques vagues comme « hébergement respectueux » et « conditions respectueuses lors de l’abattage ».

Comme le mentionne le Conseil fédéral, la notion de « dignité de la créature » se trouve déjà à l’Art. 120 al. 2 de la Constitution fédérale. Il semble donc contradictoire que le Conseil fédéral refuse de la nommer en relation avec la garde d’animaux de rente agricoles dans le cadre de l’Art. 80 CF comme le proposent les initiant-e-s. Ceci en particulier aussi en tenant compte du fait que les arguments du Conseil fédéral pour l’introduction d’un nouvel al. 2bis à la page 16 de son rapport explicatif retient que la limitation de l’al. 2bis aux animaux de rente se base sur le fait que ces animaux se trouvent dans une situation particulière du fait de leur utilisation future et que l’économicité et le bien-être animal se trouvent dans un rapport de tension qui n’existe pas avec les autres animaux domestiques.

Il est par ailleurs particulièrement inquiétant que le Conseil fédéral prévoie déjà l’assouplissement des dispositions SST/SRPA. Il écrit ainsi : « Si la protection doit être améliorée, il n’est pour autant pas nécessaire d’adopter tous les standards en vigueur à l’heure actuelle dans les programmes d’incitation auxquels la participation est volontaire. » Cette formulation laisse une large marge de manœuvre à de nombreux lobbys. Le CF a aussi raté l’occasion de formuler des lignes directrices générales en la matière. Il invite au contraire les groupes d’intérêts à diluer autant que possible l’application au niveau de la loi.

Conclusion : Le contre-projet direct ne fait que répéter la terminologie et les garanties déjà prévues par la LPA et ses ordonnances d’application. Le bien-être de l’animal n’est également pas ancré dans l’Art. 80 al. 1 CF à côté de la « dignité de l’animal ». Les intentions exprimées dans le rapport explicatif au sujet de meilleures conditions de garde, d’hébergement et d’abattage d’animaux n’offrent pas de garantie pour une application concrète et sont formulées de façon trop générale.

2. Des prescriptions d’importation sont indispensables

L’initiative comprend une disposition explicite concernant les importations : « Elle édicte des dispositions sur l’importation d’animaux et de produits d’origine animale à des fins alimentaires qui tiennent compte du présent article. » Le contre-projet direct du Conseil fédéral ne tient pas compte de cet aspect. Le Conseil fédéral argumente que cela contreviendrait à des engagements internationaux de la Suisse à l’égard de l’OMC, de l’UE et d’Etats avec lesquels elle a des accords commerciaux.

Il n’est pas contesté que le traité GATT conclu dans le cadre de l’OMC dont la Suisse fait partie interdit des entraves au commerce comme les restrictions à l’importation. L’Art. XX du GATT prévoit toutefois des exceptions à cette interdiction. L’Art. XX (a) et (b) dit :
«Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent Accord [le GATT] ne sera interprété comme empêchant l’adoption ou l’application par toute partie contractante des mesures :
1. nécessaires à la protection de la moralité publique ;
2. nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ;
3. (…)»

La votation populaire directe offre le meilleur instrument démocratique possible pour connaître les valeurs morales de la population suisse. Un vote favorable à l’initiative (ou à un éventuel contre-projet) serait avec une probabilité élevée basé sur des valeurs morales contre le statu quo. Les exceptions prévues dans l’Art. XX du GATT permettraient par conséquent à la Suisse d’introduire les restrictions à l’importation prévues par l’initiative.

L’objectif de l’initiative n’est évidemment pas d’institutionnaliser des entraves cachées au commerce, mais de protéger la dignité et donc aussi le bien-être des animaux détenus par des entreprises agricoles. Le Conseil fédéral reconnaît également que ces animaux ont besoin d’une protection qui va plus loin que celle qui leur est actuellement accordée, car ils sont particulièrement touchés par les besoins d’exploitation de la part des humains ; il faut aussi le comprendre comme l’expression des valeurs morales de la Suisse. Qu’en Suisse la morale publique comprenne aussi la protection des animaux est incontestable du fait de l’ancrage de l’article sur la protection des animaux et de la dignité des créatures dans la Constitution fédérale. La plus haute instance juridique de l’OMC a déjà expressément reconnu que la protection des animaux fait effectivement partie de la morale publique.

Dans ses explications, le Conseil fédéral affirme qu’après l’adoption de l’initiative, des produits animaux ne pourraient plus être importés en Suisse que s’ils ont été produits conformément aux critères spécifiques des directives de Bio Suisse. Cette déclaration n’est pas correcte. L’article correspondant du texte de l’initiative dit que les dispositions législatives d’exécution concernant la dignité de l’animal doivent contenir des dispositions qui correspondent au moins à celles du Cahier des charges 2018 de Bio Suisse. L’initiative ne demande donc que de trouver des équivalences appropriées.

Comme alternative aux restrictions à l’importation, le Conseil fédéral (en se basant entre autres sur l’Art. 14 al. 1 LPA) envisage notamment de soumettre les produits animaux à une déclaration obligatoire. Cette déclaration d’intention est peu crédible compte tenu du fait qu’il y a quelques mois il considérait également une telle obligation comme problématique du point de vue du droit commercial.

Conclusion : Le contre-projet direct ne changerait pas les conditions d’importation de denrées agricoles produites de façon intensives à l’étranger. Une application des changements des conditions-cadres légales proposées par le Conseil fédéral dans son rapport explicatif signifierait que les agricultrices/-eurs suisses resteraient en concurrence avec des produits étrangers venant d’élevages intensifs, alors que leurs coûts de production augmenteraient de façon unilatérale. Les initiant-e-s considèrent de ce fait que la volonté du Conseil fédéral de faire confiance à la libre concurrence n’est pas tenable.

3. D’importants critères pour le bien-être animal sont éludés

Dans son rapport explicatif, le Conseil fédéral stipule que la dignité et le bien-être des animaux sont déjà garantis par la LPA. Du point de vue de la dignité de l’animal, il n’y aurait donc pas de nécessité fondamentale de limiter la taille des groupes d’animaux détenus dans le secteur agricole. Les initiant-e-s contredisent cette approche.

La taille des groupes est extrêmement importante pour le bien-être animal. Des études montrent que l’augmentation de la taille des groupes de poules pondeuses augmente aussi leur potentiel d’agression ce qui comporte différents dangers pour les animaux. Ce n’est ainsi pas sans raison qu’en Suisse, on épointe aujourd’hui encore le bec des poules. L’apparition de modifications morphologiques comme des dermatoses, y compris des cloques sur la poitrine ou un plumage sale, a en outre été identifiée à diverses reprises comme conséquence de groupes de poulets de chair trop importants. En ce qui concerne la détention de porcs, il a été constaté dans des exploitations agricoles que l’augmentation de la taille des groupes augmente l’instabilité hiérarchique ce qui accroît les stress et les agressions chez les animaux. Des expériences montrent régulièrement que la prévalence et l’incidence de ces atteintes augmentent avec la densité des animaux.

Indépendamment de ces réflexions, les tailles des groupes jouent aussi un rôle extrêmement relevant dans la corrélation positive entre l’élevage intensif et l’administration d’antibiotiques avec le danger de pandémie – en particulier avec l’actuelle pandémie de Covid 19. Détenir un grand nombre d’animaux dans un espace très réduit favorise la rapide dissémination d’agents pathogènes. Le stress lié à la densité affaiblit en outre le système immunitaire des animaux. Il ne reste souvent plus que la possibilité de traiter tout un groupe avec des médicaments. Des résultats de recherches et des rapports confirment cette corrélation, et suggèrent que l’élevage intensif augmente massivement le risque de pandémie.

Les initiant-e-s ne sont également pas d’accord avec le Conseil fédéral en ce qui concerne l’application de la réglementation sur les sorties, car celui-ci comprend que des « sorties régulières » signifient un accès quotidien à un espace extérieur couvert. Ce faisant il assouplit même les actuelles dispositions du programme SRPA qui interdisent un tel espace couvert. Les initiant-e-s considèrent ces solutions comme insuffisantes.

Le rapport explicatif du Conseil fédéral renvoie notamment à plusieurs endroits à la PA22+ et à des progrès qui y seraient prévus et qui seraient de toute façon sur le point d’être réalisés. La PA22+ est malheureusement complètement insuffisante en ce qui concerne les objectifs d’amélioration du bien-être animal – sans parler du fait que le Parlement est actuellement bien loin de l’avoir adopté. Outre le manque de prescriptions concrètes, il faut aussi en critiquer la répartition des moyens financiers prévus. Les agricultrices/-eurs ne pourront pas prendre des mesures appropriées pour augmenter le bien-être animal s’ils manquent des moyens financiers appropriés pour le faire.

Conclusion : Il ne suffit pas de se référer aux concepts en vigueur en ce qui concerne le bien-être et la dignité des animaux comme les définit la LPA. Contrairement à ce qu’affirme le Conseil fédéral, la législation en vigueur permet des formes d’élevage intensif. Les initiant-e-s souhaitent des objectifs plus complets et plus courageux en ce qui concerne les critères de bien-être des animaux – surtout en tenant compte de la période de transition de 25 ans. Les exigences présentées dans le cadre du contre-projet ne vont clairement pas assez loin.

Prise de position sur la formulation du contre-projet

Art. 80 al. 1 et 2bis

1 La Confédération légifère sur la protection et le bien-être des animaux.

L’association « Oui à l’Initiative contre l’élevage intensif » salue la première mention du bien-être des animaux dans la Constitution fédérale. Il rappelle toutefois que la garantie du bien-être de tous les animaux (de rente, sauvages et domestiques) et déjà – du moins théoriquement – ancré dans la LPA. Il conteste donc que ce premier paragraphe va plus loin que l’initiative. Au contraire, les buts concrets de l’initiative, soit la fin de l’élevage intensif et le respect de la dignité de l’animal ne se retrouvent en aucune façon dans le contre-projet direct.

Revendication à l’égard du Conseil fédéral : A côté du bien-être de l’animal, il faut intégrer la dignité de l’animal dans l’Art. 80 al. 1 CF.

2bis s’agissant des animaux de rente, leur bien-être doit être assuré en particulier par :

L’alinéa 2bis du contre-projet se réfère à l’alinéa 3 du texte de l’initiative tout en éludant complètement l’exigence de limitation de la taille des groupes. C’est d’autant moins compréhensible que cette exigence est au cœur de l’initiative. L’affirmation que le bien-être des animaux peut être assuré indépendamment de la taille du groupe est extrêmement contestable d’un point de vue scientifique. La LPA et ses ordonnances d’application prévoient en outre déjà des dispositions sur l’espace minimal par animal et sur le nombre maximal d’animaux par exploitation. Les prescriptions sur les tailles maximales des groupes sont un complément nécessaire à cette disposition.

Revendication à l’égard du Conseil fédéral : L’alinéa 2bis doit absolument être complété par une lettre supplémentaire. Celle-ci doit contenir la prescription d’une réglementation de la taille maximale des groupes.

2a. Un hébergement respectueux des animaux ;

Les initiant-e-s saluent le fait que la lettrea suive la formulation de l’initiative. On voit toutefois que sans disposition transitoire efficace, il y a un fort risque de dilution lors de l’application des dispositions constitutionnelles. Dans son rapport explicatif, le Conseil fédéral commence déjà avec l’assouplissement de la créance d’origine en écrivant que « les exigences actuelles du programme SST devraient être largement reprises ». Le Conseil fédéral n’explique pas ce qu’il entend par « largement ». La référence à de possibles exceptions n’est en outre pas de bon augure.

A ce sujet, l’association « Oui à l’Initiative contre l’élevage intensif » aimerait une fois de plus rappeler qu’une augmentation des exigences légales minimales sans mesures de protection des agricultrices/-eurs contre les produits étrangers avec en plus des mesures inférieures en ce qui concerne la protection des animaux serait catastrophique pour l’agriculture suisse.

Revendication à l’égard du Conseil fédéral : Il faut que toutes les espèces animales puissent disposer d’un hébergement qui leur est favorable.

2b. Des sorties régulières ;

L’alinéa b suit également directement le texte de l’initiative, mais ne demande que des « sorties régulières » au lieu d’un « accès à l’extérieur ». Ce changement à d’importantes conséquences. L’initiative demande que les animaux aient un accès quotidien à l’extérieur. Le Conseil fédéral assouplit cette revendication en disant seulement que les animaux ont un accès quotidien à une « aire à climat extérieur », cette « aire à climat » pouvant explicitement aussi être couverte. Des exceptions doivent en outre être possibles si elles sont « justifiées ».

Revendication à l’égard du Conseil fédéral : L’accès quotidien à l’extérieur doit être garanti pour tous les animaux exploités dans l’agriculture. La « dignité » et le « bien-être » des animaux ne sont pas compatibles avec une vie qui empêche les animaux de sortir et qui les enferme durant la plus grande partie de leur existence.

2c. Des conditions d’abattage respectueuses des animaux.

La lettre c aimerait – comme l’initiative – que l’abattage des animaux de rente soit pris en considération dans le nouvel article constitutionnel. Ce faisant, le Conseil fédéral parle d’exigences élevées faites au personnel durant le processus d’abattage, mais il ne demande pas de renforcement supplémentaire des instruments institutionnels de contrôle. En juillet 2020, le Conseil fédéral a rejeté une motion (20.3344) déposée dans ce sens au Conseil national avec l’argument que les mesures déjà prises et les réformes en cours suffisent pour assurer la protection des animaux lors de l’abattage. Les initiant-e-s contredisent cette approche.

Revendication à l’égard du Conseil fédéral : Les initiant-e-s attendent en particulier de la part du contre-projet qu’il améliore nettement – surtout en tenant compte de la longue période de transition de 25 ans – les mécanismes de contrôle de la protection des animaux dans les abattoirs.

Conclusion

Le contre-projet direct mis en consultation par le Conseil fédéral ne contient pas de nouveaux éléments notables. En l’état, il est inapproprié en tant qu’alternative à l’Initiative populaire « Pas d’élevage intensif en Suisse ».

Ce contre-projet devrait donc soit être amélioré en tenant mieux compte des objectifs de l’initiative – particulièrement en ce qui concerne les prescriptions d’importation – dans le texte proposé pour l’Art. 80 CF. Ou alors, il faudrait élaborer un contre-projet indirect qui permette d’appliquer directement les différentes améliorations de la protection des animaux demandées par l’initiative.

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